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Economie

PME : la grande absente de la création de valeur en Côte d’Ivoire

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Présentes dans 95 % des entreprises formelles du pays, les petites et moyennes entreprises restent en marge des grands flux économiques : investissement, marchés publics, valeur ajoutée. Ce paradoxe structurel interroge l’efficacité du modèle entrepreneurial ivoirien.

Elles représentent plus de 95 % des entreprises formelles recensées en Côte d’Ivoire. Pourtant, les PME – et en particulier les très petites entreprises (TPE) – ne pèsent qu’un poids résiduel dans la création de richesse, l’accès aux marchés publics ou l’investissement privé. Cette contradiction entre surreprésentation statistique et sous-performance économique constitue l’un des angles morts du développement ivoirien.

Un tissu entrepreneurial dense mais peu productif

Selon le Répertoire national des entreprises 2024, 82 548 entreprises formelles sont enregistrées dans le pays. Près de 70 % d’entre elles sont des TPE, générant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 30 millions FCFA et employant moins de cinq salariés. Ces structures dominent numériquement le tissu productif, mais restent faiblement capitalisées, peu professionnalisées et très sensibles à la conjoncture.

Leur répartition sectorielle accentue ce déséquilibre : 44 % opèrent dans le commerce, souvent dans la distribution urbaine ou les services de proximité à faible valeur ajoutée. Les BTP (9,5 %) et l’industrie (8,2 %) rassemblent une minorité de ces structures, le plus souvent sous forme artisanale ou informelle formalisée. Les secteurs plus capitalistiques, comme l’agro-industrie, l’énergie ou les technologies, leur sont quasiment fermés.

Une faible participation aux flux économiques

Le contraste est saisissant : les grandes entreprises, qui représentent à peine 4,6 % des entités, concentrent plus de 90 % du chiffre d’affaires formel du pays. Les PME, elles, sont peu visibles dans les comptes nationaux, les statistiques du commerce extérieur, ou les données d’investissement.

L’accès au crédit reste très limité : moins de 15 % des PME ont un financement bancaire structuré, selon les données de la BCEAO. Le manque de garanties, l’informalité comptable, et une perception de risque élevée dissuadent les établissements financiers. Ce rationnement du crédit freine à la fois l’innovation, l’embauche, et l’émergence de champions locaux.

Commande publique : plus de contrats, moins de valeur

En 2024, les PME ont remporté un nombre record de marchés publics (4 165 contre 3 130 en 2023), selon les données du ministère du Budget. Toutefois, en valeur, leur part a reculé à 34,9 % du total des marchés attribués, contre 45,4 % l’année précédente. Cela traduit un glissement : les PME sont davantage intégrées, mais sur des contrats plus modestes.

Les grandes commandes stratégiques (infrastructures, énergie, services numériques) continuent d’échapper aux PME, souvent exclues par des critères de solvabilité, de références ou de notation technique. Cette dynamique accroît la concentration économique autour d’un petit nombre d’opérateurs dominants, souvent étrangers ou adossés à des groupes internationaux.

Une sous-utilisation coûteuse pour l’économie

Le paradoxe est économique : comment un pays peut-il espérer une croissance inclusive, quand 95 % de ses entreprises ne participent que marginalement à la création de valeur ? Cette inefficience freine la diversification économique, limite la base fiscale, et renforce les vulnérabilités sociales (précarité de l’emploi, informalité résiduelle).

Pour inverser la tendance, plusieurs leviers sont évoqués : réformes d’accès au crédit, simplification des marchés publics, accompagnement post-création, structuration de réseaux de sous-traitance adossés à des donneurs d’ordre industriels. Le défi est moins celui du soutien que de l’intégration structurelle des PME dans les chaînes de valeur nationales et régionales.

En Côte d’Ivoire, la vitalité du tissu entrepreneurial ne suffira pas à porter la transformation économique tant que la majorité productive restera économiquement sous-utilisée. C’est cette équation déséquilibrée qu’il faudra résoudre.

Lynn-karelle
Expert Etude Sectorielle
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